Hivernal
La glace colle nos vêtements, l’humidité de nos habits devient des écailles fragiles qui tombent avec chaque mouvement. Nos combinaisons deviennent des armures rigides qui nous protègent à moitié du froid perçant ! Plusieurs couches de vêtements polaires et doudoune synthétique isolent nos corps de la couche extérieur imperméable. Notre respiration entrecoupée par l’effort de s’habiller et préparer les embarcations blanchit nos barbes et cheveux. Le thermomètre du camion nous indique -15 ºC à l’ombre. J’ai sortie l’appareil pour prendre quelques images, mais rapidement je sens plus mes doigts. Je fais des squats pour me réchauffer en attendant le départ et j’espère juste que l’appareil et moi-même allons tenir la descente !
Evolution
Pour moi c’est un peu un retour à mes débuts du packraft, que j’associe étroitement au froid. Ou peut-être c’est la conclusion d’un cycle ? Ma première expérience fut une expédition en Islande où un hiver précoce nous surprit pendant presque trois semaines de navigation. Nous avons subi la neige, la glace et le vent incessant. Moins expérimenté, mais surtout moins équipé, j’avais passé des journées entières sans sentir mes extrémités et à lutter contre une météo inclémente. Bizarrement, j’avais néanmoins tout suite devenu accroché à cette discipline et découvert le plaisir de l’eau vive.
Deux ans plus tard, j’ai eu l’occasion de réaliser une descente sur l’Ubaye, à nouveau en packraft. Entretemps, j’avais rejoint l’équipe Mekong pour me lancer pleinement dans leur aventure et projets. A deux heures de l’atelier à Crest, dans la Drôme, les Hautes Alpes nous offrent un terrain de jeu incroyable pour tester nos embarcations. Lors de la navigation nous avions vu passer un groupe de kayakistes, qui profitaient de leurs bateaux rigides pour jouer dans les rapides. Conscients de tous les avantages de nos petites embarcations ultralégères, nous étions quand même un peu jaloux ! Ayant aussi commencé à découvrir le kayak, je me rendais compte des limitations en termes de forme qui nous empêchaient de faire pareil que nos confrères sur la rivière. Quelques heures plus tard et de retour dans le train, nous avons eu un débat agité avec Olivier : est-ce que nous pourrions faire des formes plus adaptées à l’eau vive ? Et quels étaient les axes de travail ? Cela paraissait compliqué et nous avions pleins projets déjà en cours, mais l’idée a commencée à germer doucement, a mesure que notre TER traversait les montagnes du Haut Diois…
Ce cycle prend sa fin, car après des mois de développement des nouvelles formes, nous sommes là pour valider notre dernière création. Pendant l’automne nous avons fait de dizaines de itérations, et il nous veut réaliser un dernier test. Le choix de l’Ubaye est dicté en partie par les niveaux d’eau, car c’est un hiver très sec et très peu de rivières sont navigables. Mais est-ce qu’il n’y aurait pas une raison plus poétique qui nous a poussé à revenir ?
La Gorge Royale
Nous sommes quatre pour cette descente : Olivier, Lou, Mathias et moi-même. Lou connait la rivière par cœur, et Mathias nous rejoint depuis la Belgique. En rigolant, nous finalisons les derniers préparatifs et approchons la rive. Nous avons prévu descendre une partie de la section classique en amont du Lauzet avant de nous engager dans la gorge royale, plus communément appelé les ex-infrans du bas. Juste avant de perdre de vue la route, je vois passer deux voitures, les toits chargées de skis. Il y a quelques années j’aurais été probablement en train de faire la même chose, mes yeux tournés vers pentes enneigés et les sommets, lisant le bulletin d’avalanches. En aucun moment j’aurais cru qu’il y aurait des personnes en train d’envisager une descente sur l’eau liquide. Pour me rassurer je me dis qu’au moins, nous serons au calme : pas besoin de forfait ni de se faire basculer dans la queue par un groupe brouillant d’écoliers !
Cachés au fond de la vallée nous embarquons sans avoir droit aux rayons d’un faible soleil hivernale. On entend seulement le bruit de l’eau. Je dois rêver car j’ai la sensation de voir la glace apparaitre doucement sur ma pagaie. Une fine ligne blanche courre lentement sur la surface, créant des motifs éphémères, le temps de replonger la pale à nouveau. Ephémère c’est un mot qui caractérise cette sortie. Une rivière n’est jamais la même, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle on peut naviguer plein fois la même section sans se lasser ! Le débit, la couleur et les saisons vont moduler l’expérience pour créer un souvenir unique. Sur l’Ubaye, les crues importantes, font changer régulièrement la physionomie des rapides. La section sur laquelle nous naviguons en est un exemple, ayant subi plusieurs changements récents. Mais aujourd’hui c’est le paysage enneigé et les formations de glace fugaces qui resteront ancrés dans nos souvenirs. Nous sommes admiratifs, conscients du privilège d’être présents au bon moment !
La Chute glacé
Une fois sur l’eau nous jouons dans les rapides et prenons nos marques dans les embarcations. Pour moi ça sera une première fois sur dans les gorges, et je suis vraiment très curieux de la découvrir. Le décor sous le pont romain est déjà tellement magnifique que je me dis que ça ne doit pas être beaucoup mieux. Je me trompe tellement !
Nous avançons et les parois n’attendent pas longtemps pour se refermer rapidement autour de nous. La neige a tombé sur les couches horizontales de rocher stratifié, créant un motif zébré. Nous prenons un virage à droite qui nous révèle un des points forts de la descente : la cascade du canyon de Costeplane. L’eau tombe d’une vingtaine de mètres d’une falaise surplombante. Il reste un filet d’eau à l’état liquide, mais le reste est glacé. La cascade a devenu une décoration solide créant un spectacle insolite. Des énormes stalactites de plusieurs mètres de long pendent d’en haut, et en les imaginant tomber j’accélère la cadence. En suivant les consignes de Lou nous prenons la passe à droite, pile sous la chute : cela porte bonheur et nous avons oublié complètement le froid tellement c’est impressionnant ! Nous prenons un bon moment pour admirer la scène et je sors pour prendre quelques clichés. La brume de la cascade est arrivée jusqu’à la rive gauche, laissant une couche transparente et très glissante sur les cailloux. Elle est presque invisible, et je tombe très fort, mais ça ne peut pas gâcher ma bonne humeur tellement je suis content d’être là.
En avant
Je remets ma jupe et nous repartons pour une courte section calme avant de tous débarquer. Nous allons porter les rapides de la cage aux lions et la moulinette par la rive gauche. Heureusement que nos embarcations sont légères car le chemin est complètement enneigé. J’entends le bruit sourd de la rivière à notre droite et ma respiration à mesure que je saute d’un bloc à l’autre. La neige grince légèrement sous mes semelles. J’ai à peine le temps d’identifier les rapides et admirer les falaises gelées avant de redescendre pour rembarquer sous un seuil.
La suite est plus mouvementée, et on attaque par une série de petites chutes. Le débit étant très bas nous avons le temps de chercher les lignes entre les blocs, mais j’imagine que ça doit être très différente lors de la fonte ! C’est d’ailleurs une bonne chose car avec le froid nous n’avons droit à l’erreur. Or les risques liés à l’hypothermie, notre matériel de sécurité est difficilement utilisable : la corde devient un bloc dur et les mousquetons et sangles largables restent bloqués. Il faut donc revoir et adapter son matériel aux conditions et prévoir les limitations. Garder une corde au sec dans une poche étanche pour exemple permet de la lancer (au moins une fois !) et les mousquetons de doigt fil peuvent toujours s’utiliser malgré la glace. Pour nous c’est peut-être les conditions les plus froids que nous avons jamais expérimenté et nous prenons note des limitations.
Nous continuons notre descente, avec quelques repérages en rive gauche pour trouver la meilleure ligne. Pour ceux qui ne connaissaient pas la gorge, et comme souvent quand on découvre une nouvelle descente nous étions partis avec une certaine appréhension, qui disparait à mesure qu’on avance. Je sors pour regarder et prendre quelques photos. Je vois Olivier arriver à plein vitesse, un grand sourire sur les lèvres avant de se lancer d’un seuil. C’est le fruit de centaines d’heures de discussion, dessin, découpe et soudure pour en arriver là, mais ça vaut le coup. Nous sommes très satisfaits par le comportement du dernier prototype, qui nous permet de giter correctement mais surtout d’accélérer et gicler sur les multiples seuils là où on veut. Etant plus réactif et joueur qu’un packraft classique, je dois réfléchir mes appuis pour bien enchainer les mouvements d’eau sans faire d’erreur.
Sur la fin, à mesure que les rapides deviennent moins importants nous discutons de la suite et le repas du soir. Nous prévoyons retourner à l’hôtel Le Relais du Lac au Lauzet, camp base pour ce weekend pour retrouver un peu de chaleur et une cuisine copieuse. Nous avons hâte d’y être mais n’arrivons pas à un consensus sur les pizzas à choisir. Par contre une chose est certaine : les tests d’esquimautage pourront attendre plus tard !
Essentiel : Naviguer dans des temperatures négatives requiert une vigilance accrue et une analyse des risques approfondie. Un accident peut rapidement avoir des consequences fatales, surtout lorsque le froid vient compliquer la donne : mousquetons bloqués, cordes devenues rigides, ceintures qui refusent de se déverrouiller… Pour approfondir votre compréhension de l’importance des conditions en packraft, nous vous invitons à explorer nos autres articles dans la section dédiée aux ressources.
Cette aventure peut être réalisée avec ce packraft
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