23 Jours au Coeur de l'Amazonie
Partis avec Fabio le 12 octobre de Saül en plein centre de la Guyane, je suis arrivé seul le 3 novembre à 18h au barrage de Petit Saut après 23 jours d’expédition à pied puis en packraft. En effet après 4 jours de marche le long de la piste de Bélizon Fabio a pris la décision de faire demi-tour avant de s’engager hors de la piste en pleine forêt vierge par crainte que son corps ne suive pas. Nous savions qu’en quittant cette piste les choses sérieuses allaient commencer, nous allions devoir traverser un massif montagneux en suivant les lignes de crêtes pour s’épargner quelques efforts et donc, de fait manquer aussi cruellement d’eau en cette saison sèche.
Le 15 octobre au soir pour mon anniversaire nous avons fêté sommairement mes 32 ans au lieu dit « Bamboula » sur la carte IGN et le lendemain matin Fabio est reparti sur Saül. Il a gardé la balise Spot sur laquelle on pouvait suivre notre trajet et moi j’ai gardé le GPS, ainsi nous avions chacun un moyen d’alerter les secours en cas de blessure ou autre urgence.
À ce moment-là je suis passé par tous les états émotionnels, je ne lui en voulais pas, j’étais plutôt déçu et frustré pour lui qu’il ne puisse pas vivre la partie la plus intéressante en naviguant sur le fleuve Sinnamary. Mais finalement ce fut une sage décision au regard de ce que j’allais vivre plus tard. Nous étions venus pour une expédition et tourner un documentaire, cela voulait aussi dire porter du matériel vidéo lourd ; j’ai donc, en plus du drone et de la gopro, récupéré l’appareil photo de Fabio. Je ne perds pas de temps et j’avance seul et bien chargé en gambergeant sur quelques kilomètres avant de sortir de la piste au lieu dit « Équarisseurs » pour m’engager plein Nord dans une descente bien raide. C’est à ce moment que les choses se compliquent, le relief va m’en faire baver ! La piste tracée au bulldozer suit les courbes de niveau pour que des véhicules puissent circuler plus ou moins bien, en théorie. En pratique, cette “piste” n’en a que le nom car les chablis (arbres tombés au sol et ayant entraîné les voisins au passage) représentent des obstacles de plusieurs dizaines de mètres à franchir et cela très régulièrement la rendant impraticable autrement qu’à pied. La nature reprend ses droits très rapidement en Amazonie. D’ailleurs nous aurions dû croiser un groupe de légionnaires avec 6 quads partis de l’autre bout de la piste de Bélizon quelques jours avant et ayant pour objectif d’atteindre Saül. Nous ne les avons pas croisées malheureusement mais leur passage à coups de tronçonneuse et quad nous aurait bien faciliter la progression sur la piste.
En avant en solo!
C’est donc après 3 jours de marche en pleine forêt vierge et avoir affronté le relief escarpé du secteur avoisinant les 600 mètres d’altitude (pour la Guyane c’est déjà beaucoup !) que j’atteins enfin la source du Sinnamary sur la carte. À ce moment le fleuve n’est qu’un filet d’eau de même pas 10cm de large coulant sous une végétation très dense. Premier objectif atteint mais il va falloir continuer encore un bon moment avant de pouvoir gonfler mon packraft et pouvoir naviguer au fil de l’eau…
Encore 3 jours de plus à longer plus ou moins régulièrement le cours d’eau et non sans mal. Parfois épuisé par la végétation, je me jette désespérément dans la rivière avec mon sac et me laisse dériver sur quelques mètres jusqu’à tomber sur un obstacle où il n’y a pas assez de profondeur. Je traîne ainsi mon sac de 100 litres et un peu moins de 30 kilogrammes (plus les jours avancent, plus je mange et plus le sac s’allège) rempli de sacs étanches qui flotte suffisamment pour supporter mon poids et me servir de bouée. Je m’y accroche comme je peux et je palme en treillis et chaussures lourdes. Le seul plaisir à ce moment-là est de soulager mon dos de mon fardeau de sac. C’est durant ces quelques jours avant de retrouver une rivière assez large que je vais vivre l’épreuve de ma vie et pourtant j’en ai déjà vécu quelques unes assez intenses ! La rivière faisant 3 à 4 mètres de large s’enfonce dans une forêt de bambous à épines, ces dernières font près de 5 centimètres de long et me lacèrent le corps même à travers mon treillis militaire. Mais je flotte et en me plaçant bien sur le cours d’eau je dérive en n’épargnant les blessures avec plus ou moins de succès… Quelques centaines de mètres plus tard j’arrive sur un mur de végétation d’une dizaine de mètres de haut, je m’accroche à des bambous, j’analyse, le courant m’empêche de faire demi-tour. Je tente quand même, je bois la tasse à plusieurs reprises pour sauver mon sac qui lui veut s’engouffrer sous les bambous avec le courant. Je sors sur une berge instable et épineuse, j’en pleure, je maudis la forêt de tout mon être. J’imagine des scénarios délirants, je suis coincé, je rêve de napalm largué par un hélicoptère pour brûler ces saloperies de bambous à épines et me permettre de sortir de cet enfer vert !
Je mettrai 2 heures pour faire 50 mètres et me tracer un passage à la machette dans cette végétation inextricable qui casse difficilement sous les coups répétés et se défend très bien sur ma peau. Je crois que quelques oiseaux et singes se moquent de moi en évoluant si aisément en ces contrées si hostiles pour un être humain seul face à lui-même. Je pense à la nourriture, vais-je en avoir assez ? Certes une fois la rivière navigable je pourrais pêcher mais les réserves descendent vite car j’ai besoin d’énergie et même en me rationnant je sais que je vais manquer.
Sur la rivière Sinnamary
Au dixième jour de l’expédition je gonfle enfin mon packraft et commence à évoluer sur une rivière de 7-8 mètres de large, je dois passer de nombreux chablis en hissant mon embarcation sur des troncs de plus de 2 mètres de diamètre, des branches dans tous les sens, des lianes piégeuses, etc. Cela 3 jours durant mais je sais que je vais finir par en sortir !
Au treizième jour après avoir croisé un magnifique maïpouri (tapir, le plus gros mammifère d’Amazonie) j’arrive en milieu d’après midi à Saut Parasol. A partir de là ce ne sera que du plaisir ou presque ! Un saut en Guyane c’est tout simplement un dénivelé soudain sur la rivière qui crée une chute d’eau et des rapides parfois hauts de plusieurs mètres. Je prends donc un jour de repos sur ce saut, lessive, séchage de toutes mes affaires sur les roches chaudes, recharge des batteries avec le panneau solaire, calcul des rations, etc.
Je repars donc plus serein sur mon packraft et au matin du quinzième jour je croise 3 maïpouris à 5min d’intervalle, je crois rêver tant cet animal est rare à observer, mais dans ce secteur si isolé et donc non chassé ils sont tranquilles ! Je pêche aussi 2 coumarous, poissons délicieux que je m’empresse de cuire au feu de bois le soir. J’en garde pour le lendemain midi ce qui m’évite de m’arrêter, je mange à bord en me laissant dériver silencieusement en espérant croiser la faune amazonienne.
Parfois je troque la pagaie pour la canne à pêche et les leurres faisant mouche je sors une dizaine d’aïmaras en une heure de temps, surréaliste ! Poisson du petit déjeuner jusqu’au dîner.
C’est à Saut Dalle le 17ème jour que je tombe sur deux groupes de pêcheurs. Le soir on chasse un pac (rongeur à la chair délicieuse) qu’on cuisine le lendemain. Je prends un jour de repos, m’amuse à descendre le saut en packraft, je me retourne, bois la tasse, égare ma pagaie mais ça passe !
Puis je descends jusqu’aux derniers rapides du Saut Takari Tanté et attaque la traversée du lac sur plus de 50 kilomètres. Je prends un dernier jour de repos avant de gagner la civilisation non sans mal sous la pluie et avec un vent de face sur ce lac immense.
Arrivé au barrage après 60 kilomètres à pied dans la jungle et 160 kilomètres de navigation sur les méandres du Sinnamary puis le lac de Petit Saut, c’est un pur bonheur de monter dans une voiture avec un groupe de jeunes qui me jetteront sur Kourou. Je dors une nuit chez un pote rencontré à Saut Dalle parmi le groupe de pêcheurs puis le lendemain matin j’embarque sur un catamaran direction les Îles du Salut. Je reprends donc des forces sur ces îles paradisiaques ayant servi de bagne à l’époque. Je visite les cellules des condamnés à mort, j’observe de loin l’Île du Diable, interdite d’accès, où était retenu prisonnier Alfred Dreyfus au début du siècle dernier, je pêche au bord en regardant les tortues remonter en surface. Bref un repos bien mérité !
À part les 10 kilogrammes perdus en cours de route et des brûlures dues au soleil je suis en forme à l’arrivée. Mon packraft Jane Gin Can aura tenu ses promesses, intact après 23 jours en jungle malgré les risques et les dangers ; les coups de machette que j’aurais pu lui donner en déblayant mon passage et les nombreux assauts de la végétation amazonienne qu’il a dû encaisser…
Maintenant la question est « à quand la prochaine expé ? »
Cette aventure a été réalisée avec ce packraft
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