Alors que l’été commence à réchauffer la Scandinavie, je pars pour un voyage en packraft et en autonomie sur les lacs du Dalsland en Suède.
Récit de cette aventure en solitaire.
Je suis de celles qui ont fait de leur vie une aventure sans fin. Après plusieurs voyages en stop, à pied, à vélo et en kayak gonflable, j’ai eu envie d’un nouveau défi. J’ai eu envie de lenteur, de douceur, de découvertes et d’émerveillement. J’ai eu envie de renouer avec le sens du voyage : me laisser porter au gré des vents, des courants et de l’imprévu. Pour cette nouvelle découverte, je me suis fixée quelques contraintes volontaires : ne pas prendre l’avion, être en autonomie totale et voyager au rythme de mon corps.
La Suède : une évidence pour un voyage en packraft
Rouler sa bosse, courir le monde, vadrouiller ou bourlinguer. Il existe autant de synonymes que de voyages. Parmi ces mots qui invitent à la fugue, il y a un verbe qui me fait de l’œil depuis des années : “naviguer”.
D’un claquement de cils, on pense aux paquebots transatlantiques, aux croisières sur le Nil et aux bateaux à roue du Mississippi. Pourtant, c’est une navigation beaucoup plus minimaliste que je m’apprête à vivre. Les marins et navigateurs me traiteront sûrement de touriste d’eau douce, mais qu’importe ! À l’été je m’en suis allée voguer sur des courants d’ailleurs.
Dans mon sac, j’ai glissé mon packraft, de quoi vivre en autonomie plusieurs semaines et la capture d’écran d’une région de lacs et de forêt. Mon projet était simple : dévorer un bout du monde sans avion, sans autre but que celui de m’émerveiller et sans contrainte. Au programme de ce voyage en Suède, il y aurait de la pagaie, des balades quand les fourmis titillent les jambes, de la nourriture déshydratée quand la faim gargouille et des nuits de bivouac quand les paupières rejoignent Morphée.
Il ne m’a fallu que quelques clics sur maps pour trouver un petit coin de paradis où naviguer en toute liberté, sans itinéraire, sans montre et sans bitume alentour. Quelque part au nord de l’Europe, une tache bleue parsemée de confettis verts retient mon attention. Sans chercher plus loin, je viens de trouver ma prochaine destination : le sud-ouest de la Suède.
L’arrivée en Suède : être accompagnée de vents
Le Dalsland est une région accessible en bus ou en train depuis la France. Avec 450 km² d’eau, un canal long de 254 km et une densité de population proche de celle de la Lozère, ce territoire offre tout ce dont je rêve pour ma première aventure en packraft. Ni une ni deux, me voilà partie pour 24h de trajet pour atteindre ce décor vert et bleu.
Je suis arrivée en Suède en même temps que les vents. Alors que je faisais mes premiers pas à Göteborg, je ne savais pas qu’ils allaient m’accompagner d’un bout à l’autre du voyage. Je ne savais encore qu’ils me feraient regretter de ne pas avoir pris le pontage de mon packraft. Ni qu’ils me feraient pagayer contre les vagues ou qu’ils m’imposeraient des pauses. Ce que je ne savais pas, non plus, c’est qu’ils m’offriraient l’occasion de crapahuter dans des forêts de pins et de myrtilliers, d’admirer les nuages faire la course dans un ciel toujours plus bleu et de sentir le temps ralentir sous mes coups de pagaies. Tout ça, je le découvrirais bien vite.
Les vents du lac Vanern : savoir changer de plan
Après plusieurs jours d’une pause imposée par les vents, une fenêtre semble s’ouvrir sur mon voyage. En moins de temps qu’il n’en faut pour gonfler un packraft, je remballe mes affaires et fonce vers le plus grand lac d’Europe occidentale : le lac Vänern. Dès le premier coup de pagaie, le lac m’explique la vie. Sa vie. Sa vie de lac qui réagit comme une mer intérieure. Le vent, les vagues, les pointes que l’on voit au loin et ces îles sur lesquelles il est impossible d’accoster (sauf si l’on a pensé à prendre un grappin).
Pendant quelques minutes, je me suis demandé si pagayer sur ce lac aussi grand que les Hautes-Alpes était une bonne idée. Et puis, j’ai senti le soleil réchauffer ma peau, j’ai vu des oiseaux voler au ras de l’eau et j’ai compris que j’étais là où je devais être.
Le premier soir, il y a eu une île. Une île parmi tant d’autres. Une île (face à laquelle j’ai failli me retourner à cause d’une vaguelette énervée) qui accueille mon premier bivouac. Comment expliquer la liberté, la plénitude et le bonheur qui coule dans mes veines ? Comment expliquer que l’évidence de ce voyage, seule dans ce pays inconnu ? C’est là, sous les arbres d’été, un plat de semoule dans gosier et le vent dans les cheveux, que mon aventure a vraiment commencé.
« À l’heure du déjeuner, j’atteins enfin la Pointe. Pour l’atteindre, j’ai zigzagué entre les îles et îlots d’une réserve naturelle, j’ai caressé des nénuphars du bout de ma pagaie et j’ai laissé les gargouillis de mon ventre chanter avec les oiseaux. Des rochers, de la mousse, de l’herbe, le soleil qui chauffe… le paradis est là, sous mes fesses. »
Carnet de bord – juin 2022
Internet m’avait prévenue : dans le Dalsland, les vents grondent à partir de 11h. Ou de 9h. Et ce, toute la journée. Le lac Värnen m’a montré que parfois, internet dit vrai : ici, le vent apporte son lot de vagues, de courants et de galères. Tous les jours, je fais face aux rafales. Seule sur l’immensité du lac, je découvre la force de mes biceps en guimauve. Je pagaie contre les courants et les vents. Je pagaie dans l’espoir de trouver une bulle de beauté dans laquelle poser mon camp pour la nuit. Pour atteindre des zones bivouaquables, j’ai longé des criques, dépassé des pointes et traversé une zone militaire.
« J’ai serré les fesses. Les grands piquets jaunes surmontés d’une croix rouge m’ont gentiment rappelé que je n’ai toujours pas pris le temps d’étudier le code de la mer lacustre. Est-ce qu’ils sont là pour me dire que je n’ai pas le droit d’accoster ? Est-ce qu’ils me demandent de les contourner ? Est-ce qu’ils marquent le début de la zone interdite ? On verra bien. Qui sait ?, peut-être qu’un militaire viendra me donner la réponse ? En attendant, je fais moyennement la maline et décide de filer droit vers ailleurs. »
Carnet de bord – juin 2022
Entre la zone militaire, les vents qui prennent de la force jour après jour, des spots à bivouac pas toujours sexy et mon idée de ne pas avoir pris le pontage de mon Pablo Whisky Bar, je dois me résoudre à une évidence : je ne ferai pas le tour du lac. Ou alors, je prends le risque de finir en pâté pour les poissons du coin. Après une étude approfondie de la carte, je dégonfle le packraft, le plie, le fixe sur mon sac et m’en vais pour la suite de l’aventure. Changer de plan, c’est suivre le plan des surprises, des envies et de la liberté absolue d’un voyage sans impératif ni itinéraire.
Les lacs du Dalsland : profiter de la douceur du vent
« Me voilà sur le lac Ånimmen. Il est grand. Il est long. Je le traverse d’un bout à l’autre pour suivre les rayons du soleil insomniaque.
Carnet de bord – juin 2022
Le vent gronde. Il se lève. Il tourne.
Parfois, il secoue le packraft. Je serre les fesses, je chante, j’écoute des récits de Sherlock Holmes.
Parfois, il est de face. Je force. Je reste concentrée. »
Je suis arrivée sur mon premier « petit » lac au niveau d’Upperud Slussen. Au cœur des nénuphars et des forêts verdoyantes, je savoure la lenteur du packraft.
« Mes premiers jours sur les lacs Östebojön, Ånimmen et Ärr se passent dans le calme d’un contre-courant. Après ma première nuit, je retrouve l’excitation de la nouveauté de l’aventure.
Carnet de bord – juin 2022
Le vent soufflote, je pagaie en longeant la côte. Je zigzague entre les îles et l’arrive à une première écluse. Décharger, marcher, recharger. »
Dans le Dalsland, les lacs se succèdent à l’infini. Les écluses permettent d’aller et venir entre les immensités bleutées. Parfois, je les passe à pied. Souvent, j’attrape une corde et prie pour qu’aucun bout de bois ne vienne se loger dans mon embarcation.
Dans cet univers de vert et de bleu, les jours se succèdent, mais ne se ressemblent pas. Chaque lac offre des paysages divers. Parfois, je croise un sauna, une maison d’été ou une usine. Souvent, je suis seule dans une nature plus grande que mes rêves. Malgré les couleurs qui chamboulent les arbres, malgré les nuages qui dansent avec le vent et malgré mes escapades en forêt, le temps semble s’étirer.
« Les paysages défilent dans une routine quotidienne. Des pins, de l’eau noire, des rochers et de la mousse.
Carnet de bord – juin 2022
Lorsque le soleil brille, il tambourine les eaux de paillettes dansantes. C’est beau.
Le soir, le bleu du ciel toujours trop blanc accueille la ronde chaleur d’un soleil qui n’a pas envie de se coucher. C’est doux.
Dans les forêts, je glisse mes pas sur des matelas de mousse. Je jongle entre les ombres des pins et des bouleaux. Je suis les traces laissées par des écureuils. C’est enivrant.
Malgré la beauté des paysages, il manque la surprise, l’inattendu. J’ai beau fixer l’horizon, laisser mes yeux divaguer d’une rive à l’autre, rien. Aucune montagne ne surgit au loin. Aucun village perché ni piloté. Parfois, une ville industrielle. La monotonie de la beauté me lasse. »
Packraft en Suède : la lassitude du plat
Après un mois sur les eaux suédoises, je sens que la fin du voyage est proche. Je n’ai ni impératif ni billet retour, mais je me dirige petit à petit vers ma destination finale. Les vents, le plat et la solitude auront finalement eu raison de moi.
Pour mes derniers jours en Suède, j’ai envie de pagayer jusqu’à Ed. Petite ville du bout du bout, je veux aller voir là-bas si j’y suis. Plongée dans la contemplation des paysages et la lutte constante contre les courants qui semblent toujours venir de face, je prolonge la difficulté en me trompant de bras. Parce que oui, en Suède, les lacs ont des bras, les impasses ont des surprises et lorsque le vent est de dos, c’est qu’il y a une nouille dans le potage.
« Je vis ma meilleure vie jusqu’à ce que le vent se lève. Après deux îles, je me trompe de cap. Je vois une ville au loin et imagine déjà son nom aux sonorités inconnues. Persuadée de me diriger vers Ed, je laisse les lumières de la bourgade disparaître dans mon dos. Je m’enfonce dans une baie. À l’abri de la forêt, j’ai l’impression que le vent ce calme. C’est beau pour être vrai. Alors, je vérifie ma position. Les rafales gonflent. La réalité souffle sur mon sourire de pagayeuse : cette ville au nom inconnu, n’était autre qu’Ed. »
Carnet de bord – juin 2022
Se perdre sur un lac est donc possible. Mais après tout, est-on vraiment perdu lorsque l’on pagaie sans véritable objectif ?
La fin d’un voyage : remballer le packraft et rouler
Mes dernières nuits sur les îles suédoises ont le goût du bonheur. Le soir, seule dans ma tente, je contemple la carte. Je viens de passer un mois à zigzaguer de lac en lac, à faire des tours, des détours et des demi-tours. Pendant plus de 30 jours, j’ai louvoyé entre des îles et des îlots, j’ai planté ma tente dans des forêts de solitude, je me suis lavée dans les lacs, j’ai vu le soleil se teinté de rosé dès 3h du matin, j’ai crapahuté sur des sentiers tracés par des écureuils et j’ai réalisé mon rêve : redonner au voyage ses lettres de beauté, de lenteur et d’autonomie.
Le packraft n’est peut-être pas l’embarcation la plus adaptée pour les lacs du Dalsland. Pourtant, c’est grâce à lui que je me suis aventurée sur une rivière sauvage au départ de Göteborg, j’ai fait du stop au milieu des champs, j’ai pris des bus et j’ai fait un aller-retour France-Suède sans avion. Avec mon packraft, j’ai ramé contre le vent, j’ai pesté contre les courants et j’ai accosté là où il faisait sommeil. Ensemble, on a vogué sur les lacs Stora Le, Östebojön, Ånimmen et Ärr, passé des écluses et fait la course avec des oiseaux.
Je suis repartie de Suède le vent dans le dos. Dans le bus jusqu’à mes montagnes cévenoles, j’ai souri à mes récents souvenirs suédois. Le packraft sur le siège d’à côté, je n’avais qu’une idée en tête : repartir sur les eaux du monde, sans avion, sans contrainte et sans vent.