23.01.26 Ubaye Ex-Infrans Bas (276)

Ubaye – La Reine des Neiges

Été 2021. Nous sommes sur le retour d’une sortie sur l’Ubaye, rivière reine des Hautes-Alpes. Dans le train qui traverse les montagnes du Haut-Diois et nous ramène à la maison, nous rêvons d’un nouveau bateau qui repousse les limites du packraft. Une nouvelle forme, adapté à l’eau vive… Hiver 2023. Après quasi un an et demi de travail, nous retournons sur l’Ubaye pour y tester notre ultime prototype et profiter de l’incroyable paysage minéral que nous offrent les Gorges Royales. Nous arrivons peu après le dernier épisode neigeux, lequel a blanchit les montagnes jusqu’à 800 m d’altitude.

Hivernal

La glace colle nos vêtements, l’humidité de nos habits se transforme en écailles fragiles qui tombent à chaque mouvement. Nos combinaisons deviennent des armures rigides qui nous protègent à moitié du froid perçant ! Plusieurs couches de vêtements polaires et doudoune synthétique isolent nos corps de la couche extérieur imperméable. Notre respiration entrecoupée par l’effort de s’habiller et préparer les embarcations blanchit nos barbes et cheveux. Le thermomètre du camion nous indique -15 ºC à l’ombre. J’ai sorti l’appareil pour prendre quelques images, mais rapidement je ne sens plus mes doigts. Je fais des squats pour me réchauffer en attendant le départ et j’espère juste que l’appareil et moi-même allons tenir la descente !

Evolution

Pour moi c’est un peu un retour à mes débuts du packraft, que j’associe étroitement au froid. Ou peut-être est-ce la conclusion d’un cycle ?  Ma première expérience fut une expédition en Islande où un hiver précoce nous surprit pendant presque trois semaines de navigation. Nous avons subi la neige, la glace et le vent incessant. Moins expérimenté, mais surtout moins équipé, j’avais passé des journées entières sans sentir mes extrémités et à lutter contre une météo inclémente. Etonnamment, j’ai pourtant aussitôt accroché à cette discipline et la découverte du plaisir de l’eau vive.

Deux ans plus tard, j’ai eu l’occasion de réaliser une descente sur l’Ubaye, à nouveau en packraft. Entretemps, j’avais rejoint l’équipe Mekong pour me lancer pleinement dans leur aventure et projets. A deux heures de l’atelier à Crest, dans la Drôme, les Hautes Alpes nous offrent un terrain de jeu incroyable pour tester nos embarcations. Lors d’une navigation, nous avions vu passer un groupe de kayakistes, qui profitaient de leurs bateaux rigides pour jouer dans les rapides. Conscients de tous les avantages de nos petites embarcations ultralégères, nous étions quand même un peu jaloux ! Ayant aussi commencé à découvrir le kayak, je me rendais compte des limites en termes de forme qui nous empêchaient de faire pareil que nos confrères sur la rivière. Quelques heures plus tard et de retour dans le train, nous avons eu un débat agité avec Olivier : est-ce que nous pourrions faire des formes plus adaptées à l’eau vive ? Et quels étaient les axes de travail ? Cela paraissait compliqué et nous avions pleins de projets déjà en cours, mais l’idée a commencée à germer doucement, a mesure que notre TER traversait les montagnes du Haut Diois…

Ce cycle prend sa fin car, après des mois de développement des nouvelles formes, nous sommes là pour valider notre dernière création. Pendant l’automne nous avons conçu des dizaines d’itérations, et il nous faut réaliser un dernier test. Le choix de l’Ubaye est dicté en partie par les niveaux d’eau, car c’est un hiver très sec et très peu de rivières sont navigables. Mais n’y aurait-il pas également une raison plus poétique qui nous aurait poussé à revenir ?

La Gorge Royale

Nous sommes quatre pour cette descente : Olivier, Lou, Mathias et moi-même. Lou connait la rivière par cœur ; Mathias nous rejoint depuis la Belgique. En rigolant, nous finalisons les derniers préparatifs et approchons la rive. Nous avons prévu de descendre une partie de la section classique en amont du Lauzet avant de nous engager dans la gorge royale, plus communément appelé les ex-infrans du bas. Juste avant de perdre la route de vue, je vois passer deux voitures, les toits chargés de skis. Il y a quelques années, c’est moi qui aurait été à leurs places, les yeux tournés vers les pentes enneigés et les sommets, lisant le bulletin d’avalanches. A aucun moment je n’aurais  envisagé que l’on veuille descendre sur l’eau liquide. Pour me rassurer je me dis qu’au moins, nous serons au calme : pas besoin de forfait ni de se faire bousculer dans la queue par un groupe brouillant d’écoliers !

Cachés au fond de la vallée nous embarquons sans avoir droit aux rayons d’un faible soleil hivernale. On entend seulement le bruit de l’eau. Je dois rêver car j’ai la sensation de voir la glace apparaitre doucement sur ma pagaie. Une fine ligne blanche court lentement sur la surface, créant des motifs éphémères, le temps de replonger la pale à nouveau. Ephémère, c’est le mot qui caractérise cette sortie. Une rivière n’est jamais la même, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je peux naviguer plein de fois la même section sans me lasser ! Le débit, la couleur et les saisons vont moduler l’expérience pour créer un souvenir unique. Sur l’Ubaye, les crues importantes, font changer régulièrement la physionomie des rapides. La section sur laquelle nous naviguons en est un exemple, ayant subi plusieurs changements récents. Mais aujourd’hui, c’est le paysage enneigé et les formations de glace fugaces qui s’ancre dans nos souvenirs. Nous sommes admiratifs, conscients du privilège d’être présents au bon moment !

La Chute glacé

Une fois sur l’eau nous jouons dans les rapides et prenons nos marques dans les embarcations. Pour moi ça sera une première fois dans les gorges et je suis vraiment très curieux de les découvrir. Le décor sous le pont romain est déjà tellement magnifique que je me dis que ça ne peux pas être beaucoup mieux. Je me trompe tellement !

Nous avançons et les parois n’attendent pas longtemps pour se refermer autour de nous. La neige est tombée sur les couches horizontales de rocher stratifié, créant un motif zébré. Nous prenons un virage à droite qui nous révèle un des points forts de la descente : la cascade du canyon de Costeplane. L’eau tombe d’une vingtaine de mètres d’une falaise surplombante. Il reste un filet d’eau à l’état liquide, mais le reste est glacé. La cascade a devenu une décoration solide créant un spectacle insolite.  D’énormes stalactites de plusieurs mètres de long pendent d’en haut, et en les imaginant tomber j’accélère la cadence.  En suivant les consignes de Lou nous prenons la passe à droite, pile sous la chute : cela porte bonheur et nous avons oublié complètement le froid tellement c’est impressionnant ! Nous prenons un bon moment pour admirer la scène et je sors pour prendre quelques clichés. La brume de la cascade est arrivée jusqu’à la rive gauche, laissant une couche transparente et très glissante sur les cailloux. Elle est presque invisible, et je tombe très fort, mais ça ne peut pas gâcher ma bonne humeur tellement je suis content d’être là.

En avant

Je remets ma jupe et nous repartons pour une courte section calme avant de tous débarquer. Nous allons porter les rapides de la cage aux lions et la moulinette par la rive gauche. Heureusement que nos embarcations sont légères car le chemin est complètement enneigé. J’entends le bruit sourd de la rivière à notre droite et ma respiration à mesure que je saute d’un bloc à l’autre. La neige grince légèrement sous mes semelles.  J’ai à peine le temps d’identifier les rapides et admirer les falaises gelées avant de redescendre pour rembarquer sous un seuil.

La suite est plus mouvementé, et on attaque par une série de petites chutes. Le débit étant très bas nous avons le temps de chercher les lignes entre les blocs, mais j’imagine que ça doit être très différent lors de la fonte ! C’est d’ailleurs une bonne chose car avec le froid nous n’avons pas droit à l’erreur. Outre les risques liés à l’hypothermie, notre matériel de sécurité est difficilement utilisable : la corde devient un bloc dur et les mousquetons et sangles largables restent bloqués. Il faut donc revoir et adapter notre matériel aux conditions et se contraindre dans la prise de risque. Garder une corde au sec dans une poche étanche par exemple permet de la lancer (au moins une fois !) et les mousquetons de doigt fil peuvent toujours s’utiliser malgré la glace. Pour nous, c’est peut-être les conditions les plus froides jamais expérimentés et nous prenons note des limites.  

Nous continuons notre descente, avec quelques repérages en rive gauche pour trouver la meilleure ligne. Pour ceux qui ne connaissaient pas la gorge,  comme souvent quand on découvre une nouvelle descente, nous étions partis avec une certaine appréhension, qui disparait à mesure qu’on avance. Je sors pour regarder et prendre quelques photos. Je vois Olivier arriver à pleine vitesse, un grand sourire sur les lèvres, avant de se lancer d’un seuil. C’est le fruit de centaines d’heures de discussion, dessin, découpe et soudure pour en arriver là, mais ça vaut le coup. Nous sommes très satisfaits du comportement du dernier prototype, qui nous permet de giter correctement mais surtout d’accélérer et gicler sur les multiples seuils. Etant plus réactif et joueur qu’un packraft classique, je dois ajuster mes appuis pour bien enchaîner les mouvements d’eau sans faire d’erreur.

Sur la fin, à mesure que les rapides deviennent moins importants, nous discutons de la suite et du repas du soir. Nous prévoyons de retourner à l’hôtel Le Relais du Lac au Lauzet, camp base pour ce weekend, retrouver un peu de chaleur et une cuisine copieuse. Nous avons hâte d’y être mais n’arrivons pas à un consensus sur les pizzas à choisir. Par contre une chose est certaine : les tests d’esquimautage pourront attendre !

Essentiel : Naviguer dans des temperatures négatives requiert une vigilance accrue et une analyse des risques approfondie. Un accident peut rapidement avoir des conséquences fatales et en particulier lorsque le froid vient compliquer la donne : mousquetons bloqués, cordes devenues rigides, ceintures qui refusent de se déverrouiller… Pour approfondir votre compréhension de l’importance des conditions en packraft, nous vous invitons à explorer nos autres articles dans la section dédiée aux ressources.

Cette aventure est recommandée avec :

Jekyll & Ride

Packraft d'eau vive extrême

Jeanne Dark

Monoplace Autovideur Eau Vive

Découvrez d'autres aventures

Packraft Meking Lac Serre Ponçon
Micro-aventure
Willy

La Grande Balade: Plein Sud!

Partir de la maison et rejoindre la mer, droit au sud ! Quinze jours dehors, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. De Thonon à la plage du Rayol, à l’exact Sud de la maison, 510 kms de vélo, 210 kms de packraft. Une soixantaine d’heures au total à la vitesse d’une tortue sur un vélo pas fait pour enquiller les bornes mais facile à charger sur le bateau, et une trentaine d’heures sur l’eau, heureux comme un gosse !

Lire la suite »
Voyage
Ludovic Ibba

Arktouros – Yukon et le Grand Nord

Du grec ancien ἄρκτος (ours) et οὖρος (gardien), Arcturos ou encore Arcturus est l’étoile la plus brillante de la constellation boréale du Bouvier et l’une des plus lumineuses de l’hémisphère nord. Etoile géante d’un rouge-or/orangé éclatant, elle doit son nom à sa proximité et à son attache mythologique avec les constellations de la Grande Ours (Ursa Major) et de la Petite Ours (Ursa Minor). Arktouros Project, c’est s’aventurer au cœur des contrées lointaines et inaccessibles d’Alaska, y observer une faune et une flore d’exception, sensibiliser le plus grand nombre à l’importance de sa préservation mais aussi se reconnecter avec soi même et avec le monde qui nous entoure.

Lire la suite »
lac inari laponie packraft
Micro-aventure
Kaio

Expédition en Laponie avec Kaïo Bushcraft

Depuis plusieurs années, les pays du nord de l’Europe m’attirent comme un aimant. Et tout particulièrement la Laponie. Voir la nature à perte de vue, sans pollution sonore ou visuelle, et sans le stress du quotidien. Je ressens ce besoin d’être dans de grands espaces sauvages coupés du monde depuis bien longtemps. Cette aventure en Laponie Finlandaise a donc été pour moi une reconnexion avec quelque chose enfoui en moi depuis que je suis gosse, quelque chose d’inexplicable, de primaire.

Lire la suite »
Packraft Mekong sur l'Allier à Lavoûte-Chilhac
Micro-aventure
Capucine

Les aventures des « Six’ta packraft » : 2ème édition

L’histoire démarre l’été dernier, six filles, six copines fraichement diplômées d’école de kiné se lancent dans un périple de quatre jours sur la Loire en bivouac, en totale autonomie ! A l’époque, certaines d’entre nous connaissent déjà le packraft, les autres sont néophytes, mais toutes adoptent bien vite ce nouveau moyen de locomotion.

Lire la suite »

Article récent

Ressources
Rob Estivill

Dangers en packraft : 3 pièges à connaitre

Quand on débute en rivière, il est important de savoir que c’est un milieu naturel non-aseptisé et sans aménagement. Il peut y avoir des dangers qui mettent en péril la vie du pratiquant de packraft. Ici on présente les 3 plus gros dangers en rivière qui peuvent rester cachés mais qui risquent d’être mortels.

Lire plus »

NOUS SUIVRE

NOS ACCESSOIRES

Découvrez nos accessoires

Toute une gamme d'articles sélectionnés pour la pratique du packraft

Autre article

Passerelles Drone ebron
Topo
Rob Estivill

Topo: Lac du Monteynard

Variez les plaisirs et offrez vous une virée autour du lac de Monteynard en packraft ! Cette randonnée facile offre de magnifiques points de vue sur les massifs du Vercors et du Dévoluy. La traversée du lac en packraft permet de boucler l’itinéraire !

Lire plus »
Panier

Afin de vous garantir une expérience optimale sur notre site et de réaliser des statistiques de visites, nous utilisons des cookies. En poursuivant votre navigation vous acceptez leur utilisation. En savoir plus.